Blog scientifique, technologique, environnemental et politique de Nicolas HAHN

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Papy, c'était quoi une voiture à pétrole???

C'est la question dont j'espère qu'elle nous soit posée à tous par nos petits enfants d'ici 20 à 30 ans.

Dans cet article, la suite de ma série sur les moyens de stockage d'électricité aujourd'hui dans les laboratoires, et donc dans quelques années à peine dans nos voitures. Je parle ici des batteries Lithium Sulfure et j'aborde les batteries métal air, que nous verrons plus en profondeur dans le prochain article.

Précédemment, je faisais un petit tour des valeurs de l'énergie spécifique de différentes énergies en rapport avec différentes technologies de stockage de l'électricité. Je concluais mon article en laissant entrevoir les sauts technologiques à venir grâce en particulier à deux technologies de stockage de l'électricité que sont la batterie Lithium-Sulfure et la batterie Lithium-Oxygène.

L'intérêt premier de ces deux nouvelles technologies, c'est donc leur très haute énergie spécifique comparativement à la technologie lithium-ion utilisée partout aujourd'hui. Pour rappel, dans le domaine d'application des déplacements doux, donc de la voiture électrique, plus l'énergie spécifique est élevée et plus l'autonomie est grande.

Je vais donc parler beaucoup plus spécifiquement de la technologie Lithium/Sulfure aujourd'hui, et en faisant un petit état des lieux (sociétés ou laboratoires de recherche travaillant sur ces technologies, dates estimées de diffusion au grand public, ...).

Commençons par un graphique récapitulatif, montrant l'énergie spécifique de différents "matériaux". Notez que ces résultats sont une compilation de tous les résultats que j'ai pu obtenir en faisant des recherches sur internet: Wikipedia, publications scientifiques, extrapolations diverses de futurs résultats des recherches dans les années à venir, etc. Ces nombres peuvent pour certain être sujets à caution car il m'est arrivé plus d'une fois de trouver des nombres différents pour une même technologie électrochimique de batterie.

specific_energies.png

Cela vous permet de voir où l'on en est avec la technologie de batterie la plus largement utilisée aujourd'hui qui est le lithium-ion. Dans l'article précédent, je me suis amusé à prendre pour exemple la voiture Tesla Model S, et j'ai démontré par des calculs simples que son pack de batterie disposait d'une énergie spécifique de 156 Wh/kg. Ce qui, avec une batterie de 85 kW/h, permettait à ce véhicule de parcourir réellement environ 400 km.

On va pouvoir voir où nous mènerait notre Tesla ainsi que notre Renault ZOE avec une batterie Lithium/Sulfur.

Cette technologie de batterie a fait l'objet de nombreuses recherches durant ces dernières années, principalement par des startups américaines. Et pour cause: elle a pour elle de nombreux avantages par rapport au lithium-ion:

  • elle est beaucoup moins chère
  • elle n'est pas dangereuse
  • elle supporte des profondeurs de décharge de 100% (lithium-ion: max 80%)
  • elle a une énergie spécifique située entre 350 et 500 Wh/kg (prouvé en 2013)

Comme son nom l'indique, elle utilise du lithium en faible quantité, et du sulfure, c'est à dire du souffre. Elle est beaucoup moins chère que le lithium-ion, ou même le lithium métal polymère (LMP) en raison du fait que le souffre est très abondant sur terre, et c'est même un déchet produit en quantités énormes par l'industrie pétrolière.

Au contraire du lithium-ion qui brûle à l'air si la batterie est transpercée et qui abouti à sa destruction, le lithium/sulfure ne pose pas ce genre de problème: la batterie ne brûle pas et son fonctionnement n'est que peu altéré.

Aussi, alors que les batteries lithium-ion ne doivent pas être déchargées au-delà de 80%, les batteries lithium/sulfure supportent des profondeurs de décharge de l'ordre de 95% à 100% sans être, là aussi, altérées. Enfin, elles perdent peu de capacité après 1500 cycles.

Son énergie spécifique théorique est très importante, mais dans la pratique on a déjà des échantillons qui atteignent 500 Wh/kg, et les scientifiques/ingénieurs dans les startups ont d'ors et déjà annoncé qu'il seraient capables sans difficulté d’atteindre au moins 600 Wh/kg d'ici quelques années. Mais à voir...

Qui travaille sur cette technologie?

Aujourd'hui, cette technologie de batterie est considérée suffisamment mature pour une première production industrielle qui commence tout juste à grande échelle. C'est donc une technologie qui est devenue disponible en 2014, ce n'est plus de la science fiction. Maintenant, il faut attendre que les constructeurs automobiles s'en saisissent et produisent des véhicules basés sur cette technologie. D'ailleurs, ils s'y intéressent de très très près, au premier rang desquels Tesla.

Il est anticipé d'ailleurs, que le lithium-ion sera supplanté par le lithium/sulfure d'ici à quelques années seulement.

Focus sur la société anglaise Oxis:

Je ne saurais trop vous conseiller, vous qui me lisez, de parcourir le site internet de la société Oxis référencée ci-dessus. Vous pourrez y trouver notamment une vidéo d'un test de dégradation/pénétration de leur produit, comparé à une batterie lithium-ion. Oxis vend déjà des cellules prismatiques Lithium/Sulfur de 200 Wh/kg. Démonstration de leur batterie a été faite dans le Cybergo (aussi connu sous le nom de Navia), que l'on a pu voir circuler au Luxembourg. Cependant, d'autres organismes ou sociétés cités ci-dessus ont pu développer des batteries qui atteignent déjà 400, 450 et même 500 Wh/kg, mais qui ne sont pas encore commercialisées. Oxis me semble donc un peu en retard sur cette nouvelle technologie. Oxis a pour partenaire en France la société Induct qui développe des véhicules comme le Cybergo ci-dessous.

cybergo.jpg

Et la société Qwic utilise déjà les batteries d'Oxis au pays bas pour son scooter électrique WESP, qui est commercialisé dans quelques pays européens. Enfin, il y a aussi les vélos électriques Wisper (http://www.wisperbikes.com/) développés en Allemagne.

Oxis semble donc avoir fait le choix de sa voie: diffuser une technologie Lithium/Sulfure qui dépasse le meilleur de la technologie lithium-ion actuelle, nouer beaucoup de partenariats commerciaux, industriels, ainsi qu'avec des fournisseurs,  et ce en attaquant à mon sens deux des trois principaux marchés mondiaux: les Etats-Unis et l'Europe, mais pas encore l'Asie d'après mes constats. Sans doute pour être le premier à imposer sa technologie, qui pourtant offre une énergie spécifique somme toute assez faible dans ses premiers produits, de 200 Wh/kg. Ils me semblent donc dans une stratégie de conquête du marché agressive, avec un produit aux capacités moyennes. Mais tout comme Microsoft en son temps et ses produits de m...., une fois le marché captif, cela pourrait fonctionner et c'est plutôt une bonne stratégie commerciale.

D'autres ont développé des produits bien plus performants comme le Lawrence Berkeley National Laboratory avec sa batterie de 500 Wh/kg, mais qui descend a 300 Wh/kg après 1500 cycles, ce qui reste tout de même 50% meilleur que la batterie d'Oxis. Ce n'est donc pas encore prêt pour être commercialisé, d'après leurs publications. Mais cela ne saurait tarder. 

Alors on peut s'amuser à calculer ce que cela donnerait en prenant deux véhicules électriques (Renault ZOE et Tesla Model S) que l'on équiperait de la batterie Oxis 200 Wh/kg déjà commercialisée.

  • Pour la ZOE, si on remplace ses 290 kg de batterie lithium-ion par 290 kg de batterie Oxis lithium/sulfure, on obtiendrait au total une batterie de 290*200 Wh/kg, soit une batterie de 58 kWh. Bien loin des 22 kWh actuels. Considérant que la ZOE consomme 146 Wh/km, cela lui donnerait une autonomie de 397 km au lieu de 150 km.
  • Pour la Tesla maintenant, si on remplace ses 544 kg de batterie lithium-ion par 544 kg de batterie Oxis lithium/sulfure, on obtiendrait au total une batterie de 544*200 Wh/kg, soit une batterie de 108.8 kWh. C'est 28% de mieux que ce que fait actuellement ce véhicule, "seulement". Seulement, parce que la Tesla est équipée du meilleur de la technologie lithium-ion du moment. Donc le gain est modéré. Mais considérant que la Tesla consomme 212 Wh/km, cela lui donnerait une autonomie de 513 km au lieu de 400 km.

Maintenant, si on refait ces calculs en partant sur la batterie du Lawrence Berkeley national Laboratory mais en utilisant une énergie spécifique médiane de 400 Wh/kg pour compenser l'effet de cycle:

  • Pour la ZOE: 290*400 Wh/kg, soit une batterie de 116 kWh. Autonomie obtenue: 794 km au lieu de 150 km.
  • Pour la Tesla: 544*400 Wh/kg, soit une batterie de 217.6 kWh. Autonomie obtenue: 1026 km au lieu de 400 km.

Pour conclure:

Les américians ou anglais en particulier sont très actifs dans la technologie Lithium/Sulfure et ont déposé beaucoup de brevets (En France on fait quoi?).

Le déploiement important de la technologie Lithium/Sulfure dans le cadre de la mobilité électrique est largement anticipé, en raison de tous ces avantages. Comme je l'ai montré, sur la base de batteries lithium/sulfure de 200Wh/kg déjà disponibles sur le marché, une Renault ZOE verrait son autonomie portée à environ 400 km, et une Tesla Model S pourrait parcourir plus de 500 km!

Or, dans l'esprit de Monsieur tout le monde et bien qu'on puisse le regretter, la peur de la "panne sèche" est l'élément qui hante le plus les esprits, et qui freine le plus l'adoption des voitures électriques aujourd'hui. La technologie lithium/sulfure balaie littéralement ce qui est vécu comme un inconvénient majeur. D'autant plus que cette nouvelle technologie électrochimique dispose d'un fort potentiel d'amélioration, qui plus est rapide: les 600 Wh/kg sont déjà bien plus près que la ligne d'horizon.

Pour la note finale, je me laisserais aller à une prévision: nous devrions pouvoir acheter des véhicules électriques dotés de batteries lithium/sulfure d'ici environ 2 ans.

Ne manquez pas le prochain article qui fera un état des lieux de la technologie Lithium/Oxygène :)